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Notes sur le film de Costa-Gavras : L'Aveu.

L’Aveu

Film de Costa-Gavras (1969) d’après l’œuvre autobiographique d’Artur London.

 

« Les aveux ne sont-ils pas la forme supérieure de l'autocritique ? »

« Vaut-il mieux se tromper avec le parti plutôt que d'avoir raison hors de lui ? »

 

   Artur London, vice ministre des affaires étrangères de Tchécoslovaquie, fait le récit de l’un des procès les plus spectaculaires de l’ère stalinienne (en novembre 1952). Le 3 décembre 1952 le verdict est rendu : quatorze pendaisons, trois condamnés à des travaux forcés. Il a fallu 20 mois (le héros est arrêté au mois de janvier 1951) pour aboutir aux aveux du héros, accusé d’activité criminelle en Espagne et en France et plus particulièrement d’espionnage contre l’URSS – être un des agents au service de l’impérialisme américain. N’est-il pas d’ailleurs un cosmopolite, juif, loin des intérêts nationaux ? Il est aussi accusé de servir les intérêts de la classe bourgeoise au détriment de la classe ouvrière.

 

Cinq temps clés :  

1) La recherche du droit

   Le point de vue du héros : de quoi suis-je coupable ? Pourquoi suis-je suivi ? Que me reproche-t-on ? Situation d’incertitude du héros qui ne sait pas pourquoi il est l’objet d’une surveillance (il a des doutes). Il est prêt à faire amende honorable, il est prêt à soumettre sa vie à la critique judiciaire (comme Le Procès de Kafka). Mais il ne connaît pas les règles du jeu. Quel est le droit ? Il apparaît de plus comme un être discipliné à l’égard du parti communiste – le parti est censé incarner la vérité ; il ne se trompe pas. Il faut même accepter que l’individu puisse être broyé si cela sert la révolution. Cette discipline est nécessaire à la machine judiciaire : l’individu accepte la possibilité d’une future condamnation. Pour le héros, l’idée que le pouvoir puisse agir de façon arbitraire n’est pas envisageable.

   Première action de la machine judiciaire – action invisible : volonté de faire douter le futur accusé, le conduire à se sentir déjà un peu coupable. En le surveillant et sans révéler son visage (Qui est derrière ce processus ?) la machine judiciaire initie le processus de déshumanisation : suis-je digne d’être un sujet de droit ? Quelle faute ai-je donc commise ?

 

2) L’arrestation

   Le point de vue du héros : il est désemparé. Il cherche à se raccrocher à sa fidélité au parti. Il est prêt à conduire son procès

   Deuxième action du processus de déshumanisation – action visible de la machine judiciaire, bien que l’on ne sache pas qui a décidé de cette arrestation. Le pouvoir lui-même demeure invisible. On dépouille le héros de son identité sociale, juridique, politique et économique. On le prive de toute liberté de mouvement ; et on ne lui propose pas le moyen de se défendre. Il n’a plus de nom : il n’est qu’un numéro (3225). On fragilise ainsi pour le rendre vulnérable devant la machine judiciaire.

 

3) Atteinte à son intégrité d’être humain – troisième action du processus de déshumanisation.

   Atteinte physique : épuiser l’individu pour lui ôter toute lucidité et tout esprit critique – « marchez ». Trois semaines de privations de nourriture, de sommeils hachés.

   Atteinte à son intégrité psychologique : il n’a plus d’intimité ; il a perdu tout repère temporel ("est-il deux heures du jour ou de nuit ?" demande-t-il à un gardien). Il ne peut s’inscrire dans une continuité temporelle : où suis-je dans le temps ? Cette absence de certitude temporelle rendra possible la reconstruction du passé du héros par la machine judiciaire. Il ne sait plus où il est dans le temps, comment peut-il alors vraiment savoir ce qu’il en fut de son passé ?

   Atteinte morale : « vous n’êtes rien du tout ». « Vous êtes un traître ». Il n’a plus de dignité morale ; il n’est plus considéré comme une personne morale à qui l’on doit le respect ; en ce sens on ne lui reconnaît plus le droit de participer à l’humanité.

Atteinte à sa vie : la fausse mise à mort – on a sur lui un droit de vie et de mort. Il n’a plus de liberté d’être.

 

4)L’enquête sur le passé du héros : la logique de l’aveu.

   Après l’épuisement et une surveillance continuelle, l’enquête peut commencer. Le héros est devenu docile et peut accepter la logique de l’aveu, qui nécessairement prend la forme d’une confession au cours de laquelle l’accusé reconnaît sa culpabilité. Il s’agit donc d’établir la vérité. Laquelle ? Celle-ci n’est jamais énoncée, ni définie. L’histoire du héros est récrite : il fait sa biographie, examinée non pas de son point de vue qui n’est que subjectif, mais du point de vue du parti qui est objectif. Le parti est infaillible ; il ne peut pas se tromper ; il détient le sens de l'histoire.

   Deux modalités : faire douter le héros de lui-même, en lui faisant apparaître des incohérences dans les différents récits qu’il est contraint de faire. Au bout du compte, il ne sait plus qui il est lui-même. Par conséquent comment peut-il être sûr de son passé ?

   Les aveux doivent aider le parti à faire la lumière, parti qui incarne l’objectivité, alors que l’individu n’a qu’une vision subjective des choses. Les aveux sont la forme supérieure de l’autocritique, qui est la marque d’un bon communiste. Le héros s’est noyé et il a besoin du parti pour faire la lumière. Prouver sa bonne foi, c’est dire ce que le parti souhaite que le prisonnier dise. L’important : ne pas dire ce qui est – décalage entre le dire et l’être, mais dire selon le parti. Ma vérité est relative. Si je veux être authentique il me faut adopter la vérité du parti. D’autant plus qu’il faut sauver le parti et le pays. Le héros doit faire preuve de discipline.

   Il s’agit ici d’une vérité artificielle, sophistique, reconstruite qui dénature le sens de l’être. C’est une vérité qui reconstruit une histoire en interprétant des faits, des intentions qui permet de renforcer l’accusation.

 

5) Du procès à la réhabilitation.

   Il est truqué. Tout est déjà joué. Les accusés ont appris une leçon qu’ils doivent réciter. Procès retransmis auprès de la population comme moyen de propagande. Il y a un péril ou une conspiration contre la révolution, et l’Etat veille. Le Procès laisse parler le lyrisme révolutionnaire pour mieux cacher l’arbitraire du procès.

 

 Quelques années plus tard le héros retrouve son bourreau qui n’est qu’une personne très ordinaire – la banalité du mal. C’est un fonctionnaire qui n’a fait qu’appliquer les consignes. N’était-il pas lui-même surveiller ?

 

   Pourquoi écrire un livre ? Faire le récit d’une telle histoire n’est-ce pas faire le jeu des anti-communistes ? N’est-ce pas faire mourir l’idéal communiste ?

 

 



27/01/2017
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