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Lectures du film de Franju, Les Yeux sans visage (1959)

 1.     Synopsis (extrait du Guide des films [1]) :

           « Christiane, la fille du professeur Genessier, a été défigurée dans un accident provoqué par son père. Celui-ci a installé un laboratoire dans une propriété retirée où Louise, son assistante, attire des jeunes filles. Le professeur Genessier veut tenter des greffes sur le visage de sa fille à partir de la peau de ces dernières, qui sont ensuite supprimées. Mais les greffes échouent, et Christiane finit par se révolter. Elle tue Louise, libère les chiens, qui dévorent son père. Devenue folle, elle s’enfonce dans la forêt entourée de colombes qu’elle a aussi délivrées.
         Partant d’un réalisme qui pourrait être sordide, Franju réalise un film inquiétant et horrifique au rythme envoûtant, à la musique prenante, aux belles images contrastées. La grâce aérienne d’Edith Scob (Christiane) s’oppose au jeu puissant de Pierre Brasseur (Professeur Genessier), tout comme l’innocence défigurée se révolte contre les forces du pouvoir maléfique. Un remarquable film d’épouvante à la poésie étrange et insolite ».
 

2.     Lecture critique :

            Le Professeur Genessier n’est-il pas un Prométhée moderne ? A l’image du Docteur Frankenstein qui cherche dans des cimetières des morceaux de chair pour reconstituer un corps vivant, le Professeur Genessier cherche des morceaux de visage pour reconstituer celui de sa fille. Il se veut donc tel un Prométhée moderne, capable de façonner un homme, ou de corriger le corps.

           Il est nécessaire d’interroger les motivations du Professeur : en vue de quoi agit-il ? Par amour paternel ? Au nom de la science ? Pour se donner une aura et apparaître comme un bienfaiteur de l’humanité ? Il apparaît vite que sa fille est un cobaye scientifique qui doit obéir aux injonctions de l’homme de science qui rêve de réussir une homogreffe  du visage. Le corps est alors l’objet d’une manipulation ; il est sans sujet, dépersonnalisé. Sa fille Christiane doit mettre entre parenthèses ses émotions, ses inquiétudes, voire son angoisse d’avoir le visage d’un autre ; les jeunes filles victimes, à qui on ôte leur visage, ne sont pas considérées comme des personnes morales digne de respect, mais comme de simples outils au service de la recherche scientifique.

           Le corps est ainsi réduit à sa dimension matérielle : ne sont prises en compte que les lois mécaniques du corps – une greffe ne peut prendre (survivre) que si elle est revascularisée par les tissus où elle est fixée ; si une greffe est placée sur des tissus mal vascularisés, celle-ci ne peut pas prendre. De plus, le Professeur Genessier cherche à pratiquer une homogreffe, pratique bien plus complexe que l’autogreffe : l’autogreffe consiste à prélever sur le patient lui-même des morceaux de peau pour reconstituer une partie du visage ; l’homogreffe nécessite de prélever sur un autre être humain un morceau de peau ; or la peau est antigénique, à savoir elle répond par des réactions immunitaires (système de défense) en présence d’agents étrangers. Le Professeur ne peut pas aller contre les lois de la nature ; il cherche les moyens biologiques pour que la greffe prenne et pour éviter ces phénomènes de rejet. Malheureusement, il échoue dans ses tentatives de redonner un visage à sa fille.

          Le corps est donc bien l’unique objet des pensées du professeur. Mais force est de constater qu’il est devant une énigme ; il ne parvient pas à déterminer toutes les caractéristiques du corps. Il est un Prométhée démuni devant les forces de la matière. Pourtant il opère sur le corps avec circonspection : il le planifie, le délimite, le découpe (le corps n’est-il pas divisible à l’infini ? Le professeur n’est-il pas cartésien sans le savoir ?), le soigne, le décompose pour le recomposer. En définitive, le Professeur fait l’expérience que le corps échappe toujours à la volonté de maîtrise de l’être humain ; le corps est une réalité fuyante qui refuse de livrer tous ses secrets. Ne demeure-t-il pas un inconnu ?

 

 



[1] Sous la direction de Jean Tulard, Tome 3, Paris, Robert Laffont, 2002, page 3287.



13/10/2017
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