La mémoire est-elle plurivoque ?
Expliciter la construction de la dissertation
1. Prendre la mesure de la question :
Il ne s’agit pas de se contenter de répondre oui ou non à la question : « oui, la mémoire est plurivoque » ; « non, la mémoire n’est pas plurivoque » ; de telles réponses ne prennent pas la mesure de la question. Il importe de mettre en question la question : pourquoi nous pose-t-on une telle question ? En quoi cette question met-elle en jeu et en difficulté la mémoire ? Nous permet-elle de mieux comprendre la mémoire ? La plurivocité est-elle ce qui rend possible de déterminer au mieux ou au plus juste l’être même de la mémoire ? Favorise-t-elle enfin la possible d’un rapport éthique entre l’homme et la mémoire ? En d’autres termes, la plurivocité est-elle un bienfait ou un méfait pour la mémoire ?
2. Mouvement de la dissertation :
Il convient, lors d'un premier temps de réflexion, de montrer l’action de la plurivocité sur la mémoire. Elle peut apparaître, dans un premier moment, enchanteresse dans la mesure où elle rend possible des expressions multiples, mais elle laisse l’homme dans l’incertitude ; elle peut se révéler, dans un deuxième moment, comme un moyen explicatif qui sert à décrire les diverses fonctions de la mémoire, mais elle n’exprime pas le rapport vivant entre l’être humain et sa mémoire. Elle peut alors sembler, dans un troisième moment, ne pas correspondre à l’expérience d’une mémoire qui structure la conscience : suivant cette expérience, la mémoire apparaît comme univoque.
Il est nécessaire, lors d’un deuxième temps de réflexion, d’expliciter les craintes justifiées que suscite la plurivocité pour la mémoire : n’est-elle pas le signe d’une mémoire morcelée, éclatée, tiraillée ? D’où l’aspiration pour l’être humain de lutter contre la plurivocité. Ainsi, dans un premier moment, cette lutte contre la plurivocité se justifie au nom d’un refus de toute discordance au sein de l’homme. Ainsi, dans un deuxième moment, cette lutte est vitale pour ne pas sombrer dans une dissonance mortifère. Seulement, cette lutte n’est-elle pas vaine, devons-nous constater dans un troisième moment ? La mémoire n’est-elle pas par essence plurivoque ?
Il faut alors, lors d’un troisième temps de réflexion, se résoudre à cette plurivocité. Est-elle le destin tragique de la mémoire ? Ou, si la plurivocité se laisse orchestrer, n’est-elle pas une chance pour un rapport équilibré entre l’homme et la mémoire ? Certes si la plurivocité est, dans un premier moment, source de conflits entre les mémoires, cependant, elle se révèle, dans un deuxième moment, source de dialogues féconds, notamment grâce à la médiation du proche : la mémoire est nécessairement une réalité partagée. Dès lors, la plurivocité sous la baguette d’un chef d’orchestre, est, dans un troisième moment, source d’harmonie et de dialogues symphoniques entre les mémoires, et entre les voix de la mémoire. La plurivocité est un bienfait pour la mémoire et favorise donc un rapport éthique entre l’homme et la mémoire.
3. Plan :
I. Qu’en est-il de la plurivocité ?
- Source d’incertitude.
- Moyen scientifique explicatif.
- Mais en décalage avec la mémoire vécue.
II. Lutter contre la plurivocité ?
- Pour éviter les discordances en soi.
- Pour ne pas sombrer dans les dissonances et congestions de la mémoire.
- Mais lutte vaine : La plurivocité est insurmontable.
III. Orchestrer la plurivocité ?
- Les conflits des mémoires.
- Un dialogue apaisé entre les mémoires.
- Une harmonie rendue possible par un chef d’orchestre.
4. Références utilisées:
- Pour la première partie : Proust, Albertine disparue ; Tulving, Elements of episodic memory ; Bergson, L'Energie spirituelle.
- Pour la deuxième partie : Ricoeur, Temps et récit ; Borges, Fictions ; Freud, Lettre à Fliess.
- Pour la troisième partie : Barrès, Les Déracinés ; Ricoeur, La Mémoire, l'histoire, l'oubli ; Bergson, Matière et mémoire.
5. Introduction :
Une réalité plurivoque peut bien mettre l’être humain dans l’embarras ; elle est en effet une réalité aux significations multiples qui rendent difficile son appréhension. Comment savoir si telle définition est plus juste ou vraie qu’une autre ? Une telle réalité en devient même équivoque, c’est-à-dire qu’elle peut s’interpréter de différentes façons, jusqu’à en devenir de nature incertaine.
Faut-il souhaiter un tel destin pour la mémoire ? Serait-elle plurivoque au point d’apparaître indéfinissable en raison de multiplicités de significations ? A première vue, la mémoire se présente comme une réalité psychologique simple ; elle se détermine comme une faculté par laquelle les souvenirs, proches ou lointains, sont enregistrés, conservés et restitués. N’y a-t-il rien de plus claire comme détermination ? Et ne faudrait-il pas voir dans la mémoire un phénomène univoque, à savoir un phénomène qui n’est susceptible que d’une seule interprétation ?
Cependant l’idée d’une mémoire univoque comporte quelques limites ; il faudrait, en effet, imaginer une mémoire à une seule voix, qui ne disposerait que d’une seule tonalité et qui serait donc sans variations. N’est-ce pas en réalité une chose impossible ? La mémoire est composée de multiples altérités, de fonctions différentes, de souvenirs variés ; elle est un ensemble composite qui ne saurait se réduire à une forme unique. Si bien que l’hypothèse d’une plurivocité de la mémoire semble reprendre quelques crédits. Mais cette hypothèse elle-même pourrait être à son tour mise en question, car enfin, une mémoire protéiforme, aux visages multiples, n’est-elle pas une mémoire éclatée, tiraillée entre des tendances différentes ? Ainsi, par exemple, nous avons d’un côté une mémoire habitude qui n’est qu’apprentissage de mécanismes utiles à l’action et qui peut satisfaire un homme impulsif qui aime reproduire mécaniquement des gestes ; nous trouvons, d’un autre côté, une mémoire souvenir qui ouvre la voie aux rêveries et autres évocations d’un passé agréable ; une telle mémoire contente le rêveur mélancolique dans son désir de retrouver le temps perdu. N’y a-t-il pas alors une opposition radicale en l’être humain, entre son désir d’efficacité et son aspiration à la rêverie poétique ? Les deux voix de la mémoire peuvent ainsi entrer en opposition, se heurter et créer des tensions insupportables en l’homme lui-même. Quelle mémoire faut-il donc suivre, la mémoire habitude ou la mémoire souvenir ? Me faut-il être impulsif ou rêveur peut se demander l’homme ? Dès lors, la plurivocité est une source de troubles pour la mémoire : elle met en question son unité d’être et sa cohérence ; elle provoque des dissonances, voire quelques cacophonies fort désagréables ; l’être humain risque d’être perdu devant les diversités de la mémoire, à tel point qu’il ne sait plus comment se rapporter à elle. Dans cette perspective, la plurivocité est-elle seulement un bienfait pour la mémoire ?
Suivant cette perspective, qu’en est-il de la plurivocité ? Comment affecte-t-elle la mémoire ? (I) Faut-il la surmonter ? (II) Et si on n’y parvient pas, peut-on l’apprivoiser et l’orchestrer ? (III)
6. Conclusion :
Nous avons découvert au cours de cette réflexion combien la mémoire n’est pas une réalité simple qui se laisse réduire à une unique signification ou à une seule fonction. Elle est fondamentalement protéiforme, parle plusieurs langues, donne vie à des images et des souvenirs d’une immense variété. La mémoire n’est nullement univoque.
Nous avons craint quelques désordres, voire anarchies en laissant la mémoire aux mains de la plurivocité ; en réalité, cette plurivocité enrichit et nourrit la mémoire par des dialogues, par des partages, à condition qu’un chef d’orchestre harmonise les voix qui retentissent dans la mémoire ; c’est ainsi que la plurivocité est un bienfait pour la mémoire.
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