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Arguments pour des dissertations sur l'animal

Argument 1 : Les animaux pensent-ils ?

            Il apparaît étrange d’attribuer la faculté de penser aux animaux ; penser signifie évaluer, comparer, juger ; le travail de la pensée suppose ainsi une capacité de mettre à distance le réel pour mieux l'évaluer; de là il semble étrange d’imaginer un animal penser, car enfin l’animal est un être guidé par des instincts qui le déterminent à se conserver et à s’adapter à son environnement ; l’instinct est un mouvement intérieur qui pousse l’animal à exécuter des actes adaptés à un but dont il n’a pas conscience. Si l’animal agit sans conscience, comment peut-il s’interroger sur le sens de sa vie ? Comment peut-il pratiquer cette mise à distance entre soi et le réel comme l’exige la pensée ? A moins que nous n’ayons une vision trop restrictive de la pensée : celle-ci naît au contact de l’expérience sensible et se construit dès lors que l’être vivant compare les données de cette expérience. Condillac dans le Traité des animaux réfute l’opposition entre instinct et raison ; l’instinct résulte de l’habitude que les animaux construisent par expérience ; et cette expérience s’acquiert par des opérations de jugement que l’animal exerce dans son confrontation au milieu : aussi l’animal, en quête de satisfaction, compare les états successifs de bien-être et de mal être, et enregistre ce qui dans son milieu favorise son plaisir ; il forme ainsi une mémoire et se donne des images de ce qui lui est favorable : il réfléchit alors à l’organisation de sa vie ; de là l'animal acquiert des instincts qui ne sont que le fruit de ce travail de réflexion : « à la vérité, c’est en réfléchissant que les bêtes l’acquièrent » explique Condillac à propos de l’instinct. Par conséquent, les animaux pensent bien, même s’il s’agit d’une pensée bornée à leurs besoins pratiques. 

 

Argument 2 : L’homme est-il un animal brutal ?

            La notion de brutalité est singulière ; elle désigne le manque de modération dans des actes ou des paroles ; elle est signe d’une violence qui s’exprime par des gestes grossiers, outranciers ; elle indique donc une absence de réflexion critique sur le réel de la part de l’être brutal. Souvent, nous imaginons que cette brutalité est le propre de l’animal : il nous semble agir sans réflexion, uniquement par instinct de défense ou de survie ; dans ces circonstances, l’animal manifeste une cruauté terrifiante à l’encontre de ce qui le menace. L’affirmation d’une telle violence n’est-elle pas contraire à un homme éduqué ? L’homme ne s’affirme-t-il pas comme être civilisé et moral en surmontant toute animalité cruelle ? La question est presqu’une antinomie : être un animal brutal, ce n’est plus être un homme. Pourtant, Ionesco dans sa pièce Rhinocéros, met en évidence combien les hommes les plus éduqués et cultivés sont capables de sombrer dans des folies collectives, à l’image du personnage de Jean qui est atteint de « rhinocérite », lui l’homme sage et cultivé. La brutalité n’est donc plus le propre de l’animal, mais signale l’expérience tragique de l’homme lorsqu’il se laisse prendre au piège des hystéries collectives politiques, tels le nazisme et le stalinisme : entraîné dans le mouvement d’une pensée politique totalitaire, l’être humain s’engage tête baissée dans la défense d’une telle idéologie, oubliant son humanité ; il devient alors une bête féroce, il se fait brutal et violent.

 

 

Argument 3 : Où commence l’homme, où finit l’animal ?

            La question de la frontière pour parvenir à distinguer ce qui ressort de l’animal et ce qui appartient à l’humain, est délicate. Nous observons en l’homme une présence d’animalité : il est lui-même le fruit de mécanismes naturels et génétiques qu’il ne maîtrise pas; il n’échappe pas non plus à la force des instincts qui le conduisent à se conserver, à se nourrir, à se protéger des périls de la nature ; il relève d’une lecture biologique, car il est un organisme vivant comme n’importe quel animal. De là, il est difficile d’identifier à partir de quand, et sous quelle forme, l’humain dépasserait un stade d’animalité ; il nous manque un chaînon pour expliquer ce passage de l’animal à l’homme. C’est ce qui a motivé l’écriture du roman Les Animaux dénaturés par Vercors : une équipe de savants découvre en Nouvelle-Guinée une colonie de singes appelés « tropis » qui ont une apparence physique et des comportements similaires à ceux de l’homme, comme des rites funéraires. Sauf que ces fameux tropis ne semblent pas capables de produire une réflexion métaphysique sur leur propre nature et sur leur destination finale. C’est alors que les lectures physiologiques et biologiques ne suffisent plus pour distinguer l’humain de l’animal ; il faut y ajouter une lecture métaphysique, lecture non expérimentable : le passage de l’animal à l’homme s’opère dès lors que l’être humain se tourne vers des croyances religieuses pour signifier son existence, ce dont semble incapable l’animal : « Ne pourrait-on pas dire que l’homme se définit dans cette poursuite exténuante (de mythes insaisissables) ? » s’interroge Vercors. De sorte que la frontière entre l’animal et l’homme est principalement spirituelle et échappe à toute tentative d’explication par les sciences de la nature.

 

 

Argument 4 : La fin de l’animal.

 

    L’animal poursuit-il des fins ? Une telle question laisse entendre que l’animal serait un être d’intentions ; il se donnerait des buts à atteindre. Autrement dit l’animal ne serait pas seulement une machine soumis à des lois naturelles de fonctionnement qui le détermineraient dans ses choix et ses actions ; il aurait une part d’initiative possible. Cela nous conduit dès lors à accorder à l’animal, en suivant Aristote dans De l’âme, une âme entendue comme principe de vie et de sensibilité : l’animal en effet sent ; il a des impressions sensibles; notamment il dispose de la faculté du toucher qui lui permet d’identifier dans son milieu naturel ce qui est bon ou nuisible pour lui [1]. A partir de cette expérience sensible, l’animal éprouve de l’appétit pour ce qui lui apporte du bien-être ; il vise alors le plaisir, il se met en mouvement pour faire des expériences heureuses ; il use même d’une imagination sensitive pour se représenter la fin à atteindre, source de plaisir. Par conséquent l’animal est bien un être de finalité. La fin de l’animal signifie ici que l’animal se donne lui-même un horizon de plaisir et de réalisation ; il a donc un comportement finalisé suivant ses propres intentions d’avoir du bien-être, ce qui fait qu’il n’est pas qu’une machine sans âme, déterminé par des causes efficientes.



[1] « Maintenant parmi les différentes sensations, il en est une qui appartient primordialement à tous les animaux : c’est le toucher », Aristote, De l’âme, II, 2.



04/10/2020
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