PhiloCG

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Etre maître de ses désirs.

 

Textes à l’étude.

 

1) Etre un despote (despotes) à l’égard de ses désirs ? Une tyrannie contre les désirs ?

 

« Un Philosophe austère, et né dans la Scythie,

Se proposant de suivre une plus douce vie,

Voyagea chez les Grecs, et vit en certains lieux

Un sage assez semblable au vieillard de Virgile,

Homme égalant les Rois, homme approchant des Dieux,

Et, comme ces derniers satisfait et tranquille.

Son bonheur consistait aux beautés d'un Jardin.

Le Scythe l’y trouva, qui la serpe à la main,

De ses arbres à fruit retranchait l'inutile,

Ébranchait, émondait, ôtait ceci, cela,

Corrigeant partout la Nature,

Excessive à payer ses soins avec usure.

Le Scythe alors lui demanda 

Pourquoi cette ruine : Était-il d’homme sage

De mutiler ainsi ces pauvres habitants ?

Quittez-moi votre serpe, instrument de dommage ;

Laissez agir la faux du temps :

Ils iront aussi tôt border le noir rivage.

- J’ôte le superflu, dit l’autre, et l’abattant,

Le reste en profite d'autant.

Le Scythe, retourné dans sa triste demeure,

Prend la serpe à son tour, coupe et taille à toute heure ;

Conseille à ses voisins, prescrit à ses amis

Un universel abatis.

Il ôte de chez lui les branches les plus belles,

Il tronque son Verger contre toute raison,

Sans observer temps ni saison,

Lunes ni vieilles ni nouvelles.

Tout languit et tout meurt. Ce Scythe exprime bien

Un indiscret Stoïcien :

Celui-ci retranche de l’âme

Désirs et passions, le bon et le mauvais,

Jusqu’aux plus innocents souhaits.

Contre de telles gens, quant à moi, je réclame.

Ils ôtent à nos cœurs le principal ressort ;

Ils font cesser de vivre avant que l’on soit mort. »

Jean de La Fontaine, Fables.

 

    « N’entendez par ce mot aucune passion particulière, mais plutôt toutes les passions assemblées, que l’Écriture a coutume d’appeler d’un nom général la concupiscence et la chair. Mais définissons en un mot la concupiscence, et disons avec le grand Augustin : la concupiscence, c’est un attrait qui nous fait incliner à la créature au préjudice du Créateur, qui nous pousse aux choses sensibles au préjudice des biens éternels ». 

Bossuet, Traité de la concupiscence, OC VII, composé en 1694, et le Sermon de Pâques, 1654, I, p. 509.

 

2) Etre un maître dominant et protecteur (dominus) à l’égard de ses désirs ?

    « Mais moi, qu'ai-je de commun avec ces femmes inconsidérées ? quand m'avez-vous vue m'écarter des règles que je me suis prescrites, et manquer à mes principes ? je dis mes principes, et je le dis à dessein : car ils ne sont pas, comme ceux des autres femmes, donnés au hasard, reçus sans examen et suivis par habitude ; ils sont le fruit de mes profondes réflexions ; je les ai créés, et je puis dire que je suis mon ouvrage (…) Cette utile curiosité, en servant à m'instruire, m'apprit encore à dissimuler : forcée souvent de cacher les objets de mon attention aux yeux de ceux qui m'entouraient, j'essayai de guider les miens à mon gré ; j'obtins dès lors de prendre à volonté ce regard distrait que vous avez loué si souvent. Encouragée par ce premier succès, je tâchai de régler de même les divers mouvements de ma figure. Ressentais-je quelque chagrin, je m'étudiais à prendre l'air de la sérénité, même celui de la joie ; j'ai porté le zèle jusqu'à me causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps l'expression du plaisir. Je me suis travaillée avec le même soin et plus de peine, pour réprimer les symptômes d'une joie inattendue. C'est ainsi que j'ai su prendre sur ma physionomie, cette puissance dont je vous ai vu quelquefois si étonné. »

Laclos, Les Liaisons dangereuses, lettre 83, Madame de Merteuil à Valmont.

 

3) Etre un maître de savoir (magister), un éducateur de ses désirs. 

 

« Art. 144. Des désirs dont l’événement ne dépend que de nous.

    Mais, parce que ces passions ne nous peuvent porter à aucune action que par l’entremise du désir qu’elles excitent, c’est particulièrement ce désir que nous devons avoir soin de régler ; et c’est en cela que consiste la principale utilité de la morale. Or, comme j’ai tantôt dit qu’il est toujours bon lorsqu’il suit une vraie connaissance, ainsi il ne peut manquer d’être mauvais lorsqu’il est fondé sur quelque erreur. Et il me semble que l’erreur qu’on commet le plus ordinairement touchant les désirs est qu’on ne distingue pas assez les choses qui dépendent entièrement de nous de celles qui n’en dépendent point. Car, pour celles qui ne dépendent que de nous, c’est-à-dire de notre libre arbitre, il suffit de savoir qu’elles sont bonnes pour ne les pouvoir désirer avec trop d’ardeur, à cause que c’est suivre la vertu que de faire les choses bonnes qui dépendent de nous, et il est certain qu’on ne saurait avoir un désir trop ardent pour la vertu. Outre que ce que nous désirons en cette façon ne pouvant manquer de nous réussir, puisque c’est de nous seuls qu’il dépend, nous en recevons toujours toute la satisfaction que nous en avons attendue. Mais la faute qu’on a coutume de commettre en ceci n’est jamais qu’on désire trop, c’est seulement qu’on désire trop peu ; et le souverain remède contre cela est de se délivrer l’esprit autant qu’il se peut de toutes sortes d’autres désirs moins utiles, puis de tâcher de connaître bien clairement et de considérer avec attention la bonté de ce qui est à désirer. »

 

« Art. 153. En quoi consiste la générosité.

    Ainsi je crois que la vraie générosité, qui fait qu’un homme s’estime au plus haut point qu’il se peut légitimement estimer, consiste seulement partie en ce qu’il connaît qu’il n’y a rien qui véritablement lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés, ni pourquoi il doive être loué ou blâmé sinon pour ce qu’il en use bien ou mal, et partie en ce qu’il sent en soi-même une ferme et constante résolution d’en bien user, c’est-à-dire de ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu’il jugera être les meilleures. Ce qui est suivre parfaitement la vertu. »

Descartes, Les Passions de l’âme.

 

4) Synthèse possible. 

Expérience paradoxale de la maîtrise : maîtriser ses désirs pour les utiliser suivant notre bon plaisir, sans contrainte, ni obligations ou maîtriser ses désirs pour les asservir et les empêcher de s’exprimer ? Mais dans les deux cas, ne crée-t-on pas un déséquilibre entre soi et ses désirs ? Vouloir maîtriser ses désirs, est-ce la bonne modalité pour vivre avec ses désirs ?

 

Dominer ses désirs (2)

Tyranniser ses désirs (1)

Éduquer ses désirs (3)

Considérer ses désirs comme des affects que l’on possède, comme des outils que l’on peut manier à sa guise. Se considérer propriétaire de ses désirs. Jouer de ses désirs pour répondre à des ambitions dans le monde, pour paraître plus grand que la « fortune » peut-être. Dans cette volonté de dominer ses désirs, s’expriment et un Eros du pouvoir (Valmont), et un Eros du vouloir (Merteuil). Ce qui montre alors que dominer ses désirs répond à un désir plus fondamental qui est celui d’affirmer sa puissance d’être sur le monde. Etre maître de ses désirs (se construire un maintien) pour dominer in fine son environnement .

 

Redouter ses désirs comme des ennemis intérieurs qui risquent de provoquer une déroute morale (passage par la mortification). Les désirs sont tels des concupiscences coupables au service des libidines dominandi, sentiendi, sciendi. Autant alors éradiquer ses désirs, les éliminer, pour ne plus être embarrasser par ses élans irrationnels. Ses désirs sont des maladies de l’âme qui détournent l’homme de sa vocation spirituelle et qui lui interdissent de vivre en accord avec Dieu. Faire mourir en soi ces désirs coupables : « Faites donc mourir en vous ce qui n’appartient qu’à la terre : débauche, impureté, passion, désir mauvais, et cette soif de posséder, qui est une idolâtrie » comme l’écrit Paul dans l’Épître aux Colossiens.

Concevoir ses désirs comme des passions motrices nécessaires à la vie (pas seulement la vie affective et sociale, mais aussi la vie intellectuelle) ; mais éduquer ses désirs (les redresser) par une volonté rationnelle (pouvoir de décider et d’agir suivant la raison) de telle sorte que ses désirs sont dirigés vers des biens raisonnables. La volonté raisonnable non seulement lutte contre des désirs déraisonnables pour redonner au désir sa place centrale dans la vie de l’être humain, mais s’appuie aussi sur la force motrice qu’est le désir pour se tourner vers des biens raisonnables. C’est là le signe d’une grande âme (générosité) que de redresser ses désirs pour vivre de façon vertueuse.

 



14/12/2019
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