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Faut-il désirer pour vivre ?

 

I. Problématique :

     Si le fait de désirer est la condition nécessaire et suffisante pour vivre, cela ne nous conduit-il pas à justifier toutes les formes de désirs, des désirs moraux aux désirs pervers ? En effet, nous pourrions soutenir l'idée que pour vivre, il faut désirer, peu importe les formes de désir. Est-ce là une représentation acceptable de la vie humaine ? Ne prenons-nous pas le risque d’accepter, au nom du vivre, n’importe quel désir ? Peut-on dès lors laisser la vie sous l’emprise du désir ?

 

II. Plan : 

1) En quoi le désir est-il nécessaire à la vie ?

a) Le nécessaire amour de soi.

b) Le désir de vie, principe interne du vivant.

c) L’urgence vitale du désir d’être.

 

2) Cela justifie-t-il pour autant une toute puissance du désir sur la vie ?

a) Donner sens à sa vie par le désir.

b) Le désir comme impératif du vivre.

c) Les impasses morales d’un tel impératif : le désir devient omnipotent.

 

3) Le désir est-il une condition suffisante pour vivre ?

a) Penser le bien vivre.

b) Le bien vivre n’est pas la chose exclusive du désir.

c) Peut-on recommander le désir in fine pour bien vivre ?

 

III. Rédaction de la troisième partie : 

          Est-il encore possible de concevoir le désir comme condition nécessaire et suffisante pour vivre ? N’est-ce pas là une représentation insupportable ? La vie serait donc cernée, conditionnée, fabriquée par le désir ; et n’importe quel désir trouverait alors sa raison d’être puisqu’il autoriserait l’existence et le maintien en vie de l’être humain. Le libertin revendiquant sa liberté de désir et de jouissance sans mesure, sans respect pour les lois morales, pourrait s’écrier : « J’ai bien le droit de vivre ! Et plus je désire librement, plus je me sens vivre ! » Peu importe les conséquences fâcheuses pour son environnement. Seulement, en face d’une telle attitude, Socrate a beau jeu d’intervenir, comme dans le Gorgias de Platon : s’agit-il de vivre ? Ou de bien vivre ? Cela demande alors, pour suivre la recommandation de Socrate, de changer notre regard sur la vie : vivre pour un être humain, ce n’est pas seulement exister au gré de ses plus vifs désirs et plaisirs. Don Juan qui se comporte ainsi, fait l’expérience malheureuse d’une discontinuité ontologique radicale, comme Kierkegaard l’explique dans Les Étapes érotiques spontanées : il passe d’instants de désirs en instants de désirs, sans les relier les uns aux autres ; il vit donc dans l’inconstance et l’évanescence. Il vit certes, mais vit-il bien ? Toute la difficulté désormais est de déterminer ce que signifie le « bien vivre ». Faisons l’hypothèse suivante : le « bien vivre » a un sens éthique et consiste donc pour l’être humain à vivre en accord avec soi-même et son environnement. Suivant cette perspective, peut-on considérer que le désir demeure la condition ultime du vivre ?

           Nous avons commis dans nos analyses précédentes une erreur d’appréciation : en effet, en suivant Calliclès et Don Juan dans leurs pérégrinations, nous avons fait du désir une condition suffisante pour vivre, comme si la vie ne pouvait être construite que par et pour le désir ; nous accordions alors au désir une puissance dangereuse : tout l’être du vivre consistait dans des désirs matériels, sensuels, comme si le vivre appartenait exclusivement au désir. La vie risque de s’épuiser dans cette suffisance que lui impose le désir, d’où une autre nécessité à faire intervenir que celle du désir pour soutenir la vie :  bien vivre éthiquement suppose un idéal à réaliser, notamment un idéal éthique qui vient enrichir notre rapport à l’existence. Par conséquent, le désir ne peut pas être la condition nécessaire et suffisante du vivre. C’est ainsi que Socrate, comme il l’explique dans le Charmide de Platon, donne une orientation particulière à sa vie suivant le précepte exigeant que lui a proposé l’oracle de Delphes : « Γνῶθι σεαυτόν »[1]. Qu’est-ce que bien vivre ainsi ? C’est apprendre à prendre soin de soi pour vivre en harmonie avec soi-même et son environnement : le bien a ici le sens de prudence et de sagesse – c’est vivre de façon opportune, à savoir : faire le choix de la tempérance pour vivre de façon équilibrée. Le désir ainsi spiritualisé par la sagesse éthique a alors sa raison d’être ; il donne l’impulsion pour réaliser une vie harmonieuse suivant un idéal d’équilibre.

            Dès lors il est possible de soutenir la nécessité éthique du désir pour une vie bonne. Mais le désir n’est plus seul à intervenir ; et surtout le désir est conduit par une exigence éthique de vie harmonieuse et équilibrée. Cela montre alors que le désir est insuffisant pour bien vivre. Autrement dit, il s’avère nécessaire de classer les désirs comme le fait Epicure dans La Lettre à Ménécée : il y a des désirs non nécessaires et d’autres nécessaires à la vie éthique. Cela suppose une réflexion critique sur les types de désirs utiles à une vie bonne ; si bien que le désir doit être accompagné d’une réflexion philosophique sur le genre de vie que nous souhaitons, ainsi que d’une pratique ascétique pour ne pas se laisser emporter par des désirs vains ; ajoutons la finalité éthique qui donne sens au désir : ce que nous désirons, pour cette vie éthique, est un idéal de repos et de tranquillité pour le corps et l’âme. De telle sorte qu’Epicure nous invite à faire du désir une expérience nécessaire, mais non suffisante pour vivre éthiquement. Il peut bien dire : il faut désirer pour vivre dans la mesure où le désir est la source de toute vie ; mais il précise qu’il y a des désirs cinétiques qui donnent lieu à vie désordonnée et des désirs catastématiques qui sont la source d’une vie équilibrée. Le désir ne saurait donc suffire pour bien vivre. Telle est la recommandation d'Epicure.



[1] Gnỗthi seautόn : connais-toi toi-même.



17/11/2019
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