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Arguments pour des dissertations sur le désir

Argument 1 : Désirer, est-ce s’affirmer ?

    Désirer suppose de s’élancer et de s’engager dans le monde ; ainsi je désire pour avoir quelque chose qui est au-delà de mon être ; ou encore je désire pour être quelque chose de plus que ce que je suis ici et maintenant : je désire pour élargir l’horizon de mon existence. En d’autres termes, je désire pour me poser dans le monde, pour affirmer ma présence. Dès lors n’y a-t-il pas une équivalence entre l’action de désirer et le fait de s’affirmer ? Mais qu’est-ce que s’affirmer précisément ? C’est se rendre ferme, c’est manifester une force d’être, c’est avoir la volonté de vaincre des obstacles que le monde oppose à l’être humain. En quoi désirer est-il le signe de cette volonté d’exprimer sa force à la face du monde ? Hegel dans la Phénoménologie de l’esprit expose la situation de l’être humain lorsqu’il découvre que le monde ne met pas tout à sa disposition ; il est en situation de manque ; il se rend compte alors de son incomplétude : il est un être singulier qui ne se suffit pas à lui-même ; il lui faut, pour se conserver, chercher à surmonter cette incomplétude. Ainsi le désir structure sa vie, puisque le désir est cette tendance nécessaire au vivant pour combler des manques et répondre à des besoins. Par le désir l’être humain transforme le monde pour qu’il réponde à ses besoins vitaux ; il affirme donc sa puissance d’être sur le réel ; il se pose en modifiant le réel pour mieux l’assimiler et surmonter son incomplétude. N’est-ce pas là le signe de son affirmation ? L’être humain se découvre comme conscience de soi, à savoir comme conscience qui ne se confond pas avec le monde, qui s’oppose au monde pour mieux se poser ; la conscience s’affirme au sens où elle acquiert la certitude d’elle-même dans sa différence avec le monde qu’elle assimile pour être : elle est ainsi désir, désir d’être, désir d’affirmation : « Ainsi la conscience de soi est certaine de soi-même, seulement par la suppression de cet autre qui se présente à elle comme vie indépendante ; elle est désir » explique Hegel dans la Phénoménologie de l’esprit.

 

Argument 2 : Faut-il réprimer ses désirs ?            

    Réprimer quelque chose suppose une lutte contre cette chose, comme si cette chose-là incarnait un danger vital ou comme si elle mettait en péril un équilibre particulier. Suivant cette perspective, réprimer ses désirs signifierait faire violence à ses propres désirs, parce qu’on craint leur pouvoir et leur influence. Nos désirs sont-ils donc des ennemis ? Ont-ils un pouvoir dévastateur sur nous ou sur notre environnement ? Lorsqu’ils prennent la figure de la pulsion qui s’apparente à une poussée qui s’exerce à l’intérieur de l’organisme et qui recherche satisfaction, il est possible de les considérer avec méfiance et inquiétude. Pourquoi ? Parce que ce que désire l’organisme n’est pas nécessairement en accord avec l’environnement dans lequel cet organisme humain évolue. Ainsi il y a la pulsion d’amour, comme l’explique Freud dans Malaise dans la civilisation, qui orientée sur un seul être, devient néfaste pour la vie collective : « (…) l’amour va contre les intérêts de la civilisation » écrit Freud. Il faut comprendre que la civilisation ne peut pas se satisfaire d’un couple d’amoureux qui ne vivrait que pour leur amour, au détriment d’un amour plus essentiel qui est celui du genre humain ; il ne s’agit donc pas d’aimer un seul être, mais tous les autres êtres en vue de fonder une vie collective harmonieuse. Il convient par conséquent de dépasser les frontières du désir premier qui nous porte vers l’amour d’un seul. Au nom de la civilisation, l’être humain doit engager une lutte contre cette pente naturelle de la pulsion d’amour pour en élargir le champ. Cela relève d’une nécessité sociale et politique pour rendre possible le vivre ensemble. Nous pouvons également ajouter que la civilisation elle-même engage une répression contre l’amour pour contraindre l’homme à se soumettre aux idéaux de la vie collective : aimer chaque homme comme son prochain. Les désirs subissent bien une répression, au sens où ils ne connaissent pas un développement libre et doivent suivre les contraintes de la civilisation. Ce qui s’exprime alors est une nécessité imposée à la civilisation : tous les désirs ne sont pas recevables. Il faut donc bien réprimer ses désirs.

  

Argument 3 : L’éveil du désir.            

    L’éveil est comparable à l’aurore, à ce moment étonnant où la terre quitte peu à peu la nuit pour accueillir une lumière nouvelle ; l’aurore est ainsi le passage de la pénombre à la clarté : le monde apparaît sous un jour nouveau. Dès lors il est possible d’appréhender l’éveil comme cette expérience singulière d’une découverte d’un nouveau monde ; l’éveil du désir serait alors l’émergence de sensations et d’émotions nouvelles qui naîtraient dans le corps et l’âme d’une personne. Imaginons par exemple l’éveil du désir sensuel dans l’être d’une jeune femme qui se laisse porter par des sensations inconnues pour elle ; c’est ainsi que dans la Nouvelle « Une partie de campagne », Maupassant décrit l’émergence du désir sensuel dans l’âme encore innocente de la jeune Henriette qui à la rencontre du beau canotier Henri, se laisse conduire par des impressions nouvelles ; elle découvre en elle des forces désirantes qui étaient demeurées jusqu’alors dans l’ombre de son corps et dans les coins cachés de sa psyché. Ce sont des puissances naturelles qui s’expriment en elle et qu’elle éprouve en harmonie avec les éléments de la nature : le chant du rossignol est là pour signifier les premiers émois sexuels jusqu’à la jouissance de la jeune femme : « Un rossignol ! Elle n’en avait jamais entendu, et l’idée d’en écouter fit se lever dans son cœur la vision des poétiques tendresses » écrit Maupassant. Et le chant du rossignol, métaphore même de l’acte amoureux entre Henriette et Henri, connaît « des pâmoisons prolongés (…), de grands spasmes mélodieux ». Henriette n’imaginait pas pouvoir être traversée par une telle force désirante : n’est-elle pas « affolée par un désir formidable » ? Si bien que l’éveil du désir s’opère en l’être humain, malgré lui. C’est le désir qui naît comme une force puissante et irrésistible, et qui donne le sentiment pour Henriette notamment de découvrir un nouveau monde.

 

Argument 4 : Y a-t-il une sagesse du désir ? 

    La sagesse est une expérience sérieuse, qui demande une ascèse particulière. Pour devenir sage moralement, l’être humain doit se contraindre à modérer ses passions, à contrôler sa vie affective, à renoncer à des désirs dont la satisfaction le mettrait en désaccord avec sa propre raison ; il en va ainsi des désirs de gloire ou de domination qui conduisent l’homme dans des excès, car ce sont des désirs insatiables qui ne sont pas source de tempérance et d’équilibre. L’homme sage n’aspire qu’à une vie équilibrée et ne court pas après les honneurs. Dès lors il paraît étrange d’imaginer la possibilité d’une sagesse des désirs : la sagesse morale exige de vivre de façon raisonnable et non pas sous la dictée de l’affect et des désirs. Le but de la sagesse n’est-il pas l’apathie, à savoir l’absence de toute vie affective ? Le sage n’est-il pas un homme insensible ? C’est cette idée là que récuse Epicure dans La Lettre à Ménécée : l’homme sage n’est pas un être insensible, c’est un être vivant qui s’efforce de vivre en harmonie avec la nature ; et la nature a fait de l’être humain un être sensible, un être de désir et de plaisir ; si l’homme ne désire plus, il ne vit plus. Par conséquent, la sagesse morale qui se caractérise par son aspiration à une vie équilibrée ne peut pas éliminer les désirs. Et c’est ainsi que la sagesse morale cherche à apprivoiser les désirs : Epicure propose alors une hiérarchie entre différents désirs, entre des désirs superficiels et des désirs naturels, à savoir entre des désirs qui mettent l’homme en porte-à-faux avec sa nature comme la recherche de gloire ou des honneurs, et des désirs qui procèdent de sa nature d’être comme manger, boire, se reproduire. Mais Epicure approfondit sa lecture du désir pour en révéler toute la sagesse : parmi les désirs naturels, il y a des désirs nécessaires à une vie de sagesse morale, et donc de vertu. C’est alors que le désir bien orienté devient fondateur de la sagesse morale : ainsi l’amitié et la philosophie sont des désirs sages. Désirer l’amitié, c’est reconnaître que l’homme ne peut pas mener une vie d’ascèse sans modèle extérieur à lui, ni sans soutien que lui offrent d’autres hommes engagés sur le même chemin de sagesse. Désirer la philosophie, c’est poursuivre un modèle de prudence et de tempérance nécessaires à cette vie de sagesse à laquelle aspire Epicure. Il y a donc bien une sagesse du désir.



12/10/2019
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