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TD Phénoménologie : Notes et esquisses d’explication de quelques textes de Heidegger

 

 Premier texte : Sein und Zeit, §40 : « L’affection fondamentale de l’angoisse comme ouverture privilégiée du Dasein ».

 

    Il faut comprendre la différence fondamentale entre existence et réalité. Les choses du monde sont, comme la table, le tableau, l’arbre, etc. En affirmant cela, nous voulons dire que les choses du monde sont disponibles ; ce sont des étants intramondains, qui s’offrent à nous comme des choses disponibles. Mais les êtres humains sont-ils ? Oui, mais en un sens différent des choses du monde. Les êtres humains existent – du latin ex-stare : se tenir hors de soi. Qu’est-ce exister pour l’homme ? Pour Heidegger, cela signifie qu’il y va de son être ; il ne peut être ce qu’il est qu’en se projetant, qu’en visant des possibilités d’être ; l’être humain porte un intérêt à lui-même ; il n’est pas indifférent à son être. Heidegger utilise le terme de Dasein (être le là) pour penser l’être de l’homme comme possibilité d’être.

   Elément clé : l’existence est tournée vers le possible – toute humeur, toute tonalité, toute connaissance sont tournées vers des possibilités d’être. Y a-t-il une maladie du possible qui ronge l’existence humaine ?

    Comment décrire l’existence ? Pour Heidegger, il s’agit de décrire l’existence à partir des existentiaux, comme on décrit les choses à l’aides des catégories. Les choses ont des propriétés que l’on appelle catégories. Pour l’homme, il ne s’agit pas de décrire des propriétés, mais les comportements caractéristiques de son être ; ces comportements sont appelés existentiaux. Sein und Zeit est en ce sens un roman philosophique qui fait le récit des comportements de l’homme : ses engagements, ses prises de positions, ses comportements, ses modes d’être. L’analytique existentiale est ainsi le roman philosophique de l’existence humaine.

    Le premier existential désigne un phénomène unitaire : l’être-dans-le-monde. Etre dans : In-Sein. « Etre dans » ne signifie pas ici être contenu dans quelque chose ; cela est vrai pour les choses intramondaines : l’eau dans le verre, l’arbre dans la forêt ; mais cela ne concerne pas le Dasein qui n’est pas contenu dans le monde – « dans le monde » n’a alors qu’un sens catégorial, sens qu’il convient de dépasser. Il faut s’ouvrir au sens existential de l’In-Sein, qui ne désigne pas un rapport spatial d’inclusion. In-der-Welt-Sein : le In renvoie au verbe « innan » qui veut dire : « habiter ». Le Dasein est un être dans le monde, ce qui veut dire qu’il habite un monde ; cela signifie également que seul le Dasein peut avoir un monde ; il est configurateur d’un monde. L’être-dans-le-monde est donc un existential du Dasein. La conséquence est importante : c’est là une relation originaire qui signifie que le Dasein n’existe pas isolément ; il n’est pas d’abord un sujet isolé ; il se rapporte d’emblée au monde. Ajoutons que le monde n’est pas une chose étendue ; il n’est pas un contenant qui reçoit des étants ; il est la manière d’être de l’homme : « cosmos est le terme pour dire la manière d’être de l’homme et non pas l’étant lui-même » écrit Heidegger dans Fonds métaphysique initiaux de la logique, en partant de Leibniz (GA 26 – cours de 1928). L’homme vient du monde.

 

    Le Dasein : être jeté en projet. Rassemblement des moments constitutifs dans une structure unitaire qui est le souci (die Sorge). Le Dasein est un être anticipant qui est déjà dans un monde dans lequel il s’est perdu. Comment prendre soin de son être ? Comment s’engager dans le monde et réaliser ses possibilités d’être ? Heidegger fait intervenir l’existential de l’angoisse qui révèle au Dasein le sens même de son existence (§40).

 

    Sur l’existential de l’angoisse : Heidegger reprend la distinction opérée par Kierkegaard entre peur et angoisse. Contrairement à l’angoisse, la peur est toujours motivée par quelque chose de concret : la peur de l’ennemi, de l’orage, des bêtes féroces ; l’angoisse, elle, ne s’attache pas à un objet réel ; l’angoisse est sans objet : le rien ; mais ce rien n’est pas « rien » ; il est un événement positif qui bouleverse le Dasein ; l’angoisse est une compréhension affective privilégiée du Dasein ; cette rencontre avec le rien n’est pas « rien » : l’angoisse ouvre le monde comme possible, comme possibilité d’être ; l’angoisse engage le Dasein à dépasser ses tranquilles assurances, ses habitudes quotidiennes – il se découvre comme liberté : une liberté livrée au monde. Le Dasein est facticité, jeté au monde ; et par l’angoisse, il se découvre seul (solus ipse – solipsisme existential) ; le Dasein a alors à se choisir (comme être pour la mort).  

 

    Il peut y avoir refus de l’angoisse ; le Dasein est alors dans l’affairement, dans le bavardage ; il parle de lui-même ; là il utilise un masque pour ne pas s’effrayer lui-même (mode impropre : l’ipséité en tant que « on » ?). Ce masque est un rempart contre l’angoisse.

 

   L’angoisse n’est pas un sentiment ou une donnée psychologique dans Sein un Zeit ; elle une tonalité (Stimmung), voire la tonalité fondamentale (Grundstimmung) à l’époque de Sein und Zeit – tous les autres sentiments, affects, tonalités sont dérivés de l’angoisse. C’est la tonalité qui m’ouvre le monde ; ce qui montre que le rapport premier au monde n’est pas théorique, mais affectif et pratique. L’angoisse est ce qui ouvre l’homme au sens même de l’existence, homme qui est jeté dans un monde, qui peut se sentir étranger au monde. Dans l’angoisse, le monde ne lui est plus familier. Et ce qu’il découvre par l’angoisse, c’est la finitude de l’existence, c’est son être-pour-le-mort. Comment accueillir la finitude ? Comment accueillir son être-pour-la-mort (Sein zum Tode) ? C’est là une question éthique. Sein und Zeit propose une éthique du Solipsisme existential : être responsable de son être. Assumer la possibilité même de sa finitude : l’homme est un être pour la mort, et seul il a à exister et à mourir ; c’est là une expérience intransférable ; il n’est pas possible d’être un spectateur impartial ou désintéressé ; l’être humain n’est pas un spectateur extra-mondain : il participe au théâtre du monde comme acteur ; il vient au monde et il quitte le monde. C’est un emprisonnement cosmique dont il ne peut pas se libérer. Mais la mort n’est pas l’interruption de l’existence, c’est la possibilité ultime de l’existence. Et l’angoisse découvrir cette possibilité imminente qu’il s’agit d’assumer ; et cette assomption est l’expérience même de la liberté (passage de l’expérience de l’angoisse de l’impropriété à la propriété) : la mort est une manière d’être à assumer. Il y a ainsi une positivité de l’angoisse.

 

Deuxième texte : Lettre sur l’humanisme : premières pages sur l’essence de l’agir.

 

            Etrange commencement d’une lettre adressée à Jean Beaufret, en 1946, en réponse à une question posée par le philosophe français au sortir de la seconde guerre mondiale, à l’époque d’une crise spirituelle d’envergure : « comment redonner un sens à l’humanisme ? ». Etrange commencement, en effet, puisque Heidegger débute sa lettre par une réflexion sur l’agir : handeln – le terme de « main » est présent dans ce verbe ; toucher avec la main, faire circuler des marchandises ; l’agir est décrit comme ce qui rend possible la transformation du monde à notre profit. Heidegger utilise le mot Bewirken qui exprime une idée d’efficacité. Il s’agit d’être efficace ; tel est l’impératif du pragmatisme et de l’homme d’action.

            Deux mots grecs importants : Praxis qui est l’action qui vise à transformer les hommes et Poiesis qui est l’action qui vise à transformer la matière comme objet.

 

a) Première séquence – Ligne 1 à 13 : Doit-il y avoir un impératif d’utilité ? Non pour Heidegger. Considérer l’agir sous cet impératif est accessoire ; l’essentiel de l’agir est ailleurs : vollbringen qui veut dire : « accomplir ». Accomplir signifie : porter à la plénitude. On peut retrouver le terme latin : producere que l’on peut traduire par « conduire avant ». Par exemple : Rodin fait apparaître une statue de la pierre ; la statue est déjà là : il l’amène devant. Expiration de l’artiste et non pas inspiration. Sur l’origine de l’œuvre d’art : il n’y a pas de génie créateur ; l’artiste est un instrument, il n’est pas celui qui apporte ses règles à la nature. L’accomplir est la puissance cachée qui devient acte. Faire apparaître le possible au réel. Il ne s’agit pas de créer (ex nihilo ?), mais de faire apparaître ce qui est déjà là.

            Ce qui est : ce qui est est l’être. Nous avons affaire à une tautologie – dire le même. N’est-ce pas une tentative d’objectiver l’être ? Est-ce possible ? L’être est-il une chose ?

            Nécessité de comprendre la différence ontologique entre l’être et l’étant : l’être, est-ce le sens avant les choses ?

            La pensée : elle est le moyen. Elle exprime la relation de l’être à l’essence de l’homme (l’être de l’homme : le Dasein, être le là – le là ou se réalise le paraître des choses). La pensée n’est pas la cause de l’être ; la pensée ne crée pas l’être : « la pensée la présente seulement à l’être ». Présenter : das Buiten ; la pensée donne à voir l’être ; la pensée est ainsi la réponse à la donation de l’être en lui présentant ce qu’elle a reçu – Producere.

 

b) Deuxième séquence – ligne 13 à 18 : Comment la pensée se réalise-t-elle ? La pensée est notre langage : « zur Sprache kommt » : venir au langage, venir en question. L’être vient en question. Le langage n’est-il pas l’abri de l’être ? Veiller l’homme dans l’être ; ceux qui veillent : les penseurs et les poètes. Veiller : fructifier, accomplir la manifestation de l’être. L’être se manifeste par le langage. Le poète restitue la présence insolite des choses : les voir comme aux premiers jours (assister à la naissance du monde – le monde est l’horizon qui permet l’apparition des choses), au-delà de leur familiarité.

            L’être n’est pas une chose, il apparaît. Ne pas dire l’être est, car on le saisit alors comme une chose. Es gibt Sein : il y a l’être – geben : ça donne l’être. Le poète n’est pas un idéaliste ; il se laisse regarder par les choses ; l’être se révèle ; l’être humain n’est pas à l’origine de l’être ; il n’est pas non plus à l’origine de lui-même : pas d’homme au centre du réel, pas de domination humaine ; il faut dépasser l’humanisme traditionnel. L’être de l’homme ne se révèle-t-il pas par cette donation de l’être.

 

c) Troisième séquence – ligne 20 à 28 : « La pensée accomplit cet abandon. » Heidegger interroge le rapport de la pensée et de l’action ; la pensée agit en tant qu’elle pense ; mais cette action n’est pas le fruit d’une tension et intention de la pensée. Agir de la façon la plus haute et la plus simple : abandonner ? Lassen : faire, laisser faire. La nature même de la pensée n’est pas de dominer le monde ou de le transformer, mais d’accomplir la relation de l’être à l’être de l’homme. La pensée accomplit cet abandon. Gelassenheit : permission donner aux choses, laisser être les choses.

            Heidegger n’oppose pas la pensée et l’agir (à la différence de Marx) ; mais il faut penser l’agir autrement que ne le fait la philosophie. Agir n’est pas effectuer quelque chose, produire des effets, fabriquer, mais accomplir : faire apparaître ce qui est déjà là.

Penser, c’est l’engagement de l’être. Est-ce un génitif objectif ou un génitif subjectif ? Double génitif : c’est l’engagement par l’être et pour l’être

            



14/01/2017
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