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Oublier, est-ce perdre la mémoire ? (1)

 I. Commentaires sur le sujet :

 

   Il s’agit d’un sujet difficile, complexe, en raison de la présence de plusieurs termes qui demandaient dans l’étude du sujet, une égale attention. Il est supposé une équivalence entre l’action d’oublier et le fait de perdre la mémoire – cette équivalence doit bien sûr être mise en question : l’oubli entraîne-t-il nécessairement la perdition, la disparition, la mort de la mémoire ? L’oubli apparaît alors comme une menace, un danger pour la vie de la mémoire. Le sujet invite ainsi à produire une confrontation entre oubli et mémoire – ce que l’immense majorité des étudiants ont cherché à faire.

   Mais ce sujet comporte une difficulté particulière : il demande à ce que l’on interroge la relation entre oubli et mémoire à l’aide de ce verbe (qui semble anodin) : « perdre ». Et que peut bien signifier ce verbe ? Il convient alors de conceptualiser ce terme : 

 

   a) Perdre peut signifier égarer, errer – égarer une chose ou s’égarer soi-même. Oublier ne conduit-il pas à égarer la mémoire ? Ou à errer, ne plus savoir où l’on est ?
 
   b) Perdre peut signifier abandonner, ne plus tenir compte, ne plus s’intéresser à, laisser tomber. En oubliant, est-ce que l’on ne manifeste pas un désintérêt vis-à-vis de la mémoire ? N’est-ce pas un abandon, voire un renoncement à l’égard de la mémoire ?
 
   c) Perdre peut signifier disparaître, mourir peut-être – être en perdition. Par l’oubli, la mémoire disparaît-elle ? Est-ce la mort de la mémoire ? La perte signifie le vide, le manque, l’absence : oublier annoncerait alors la disparition de la mémoire ?
 
   d) Perdre peut signifier ôter, enlever ; la perte est synonyme d’ablation, d’amputation. Oublier serait un arrachement de la mémoire, de soi.
 
   e) Perdre au jeu : cela serait signe d’une défaillance, d’un défaut – ne pas être à la hauteur. Il serait possible d’opposer perte et gain : oublier n’est-il pas un jeu, qui suppose une mise en jeu, en espérant en tirer un gain ?
 
   f) Perdre peut signifier alléger, s’alléger – ne plus avoir de poids à supporter, s’alléger d’un fardeau. Oublier n’est-il pas ainsi l’expérience d’un allégement – une liberté retrouvée ?

 

   Ce sujet est riche de significations par conséquent ; il importe d’utiliser toutes ces ressources évoquées pour « problématiser », construire un plan et offrir des arguments solides centrés sur le sujet, en utilisant de façon explicite les significations multiples du verbe « perdre » (dès l’introduction par des hypothèses de significations, dans le développement par un travail d’explicitation de ces significations).

   Les étudiants qui ont pris le temps de lire le sujet, qui ont cherché à conceptualiser ce verbe « perdre », ont produit les meilleures dissertations.

 

 

 

II. Un essai de problématisation 

            

   Nous sommes en face d’une identification entre l’action d’oublier et le fait de perdre la mémoire. Cette identification est-elle légitime ? Elle semble exprimer une critique de l’oubli, comme si l’action d’oublier ne pouvait que produire la faillite même de la mémoire. Cela laisse alors entendre que l’oubli est sans fécondité. Si l’on veut éviter la perdition de la mémoire, il est nécessaire de renoncer à l’oubli. 

   Cependant la question suggère une relation étrange entre oublier et mémoriser, comme s’ils étaient partenaires d’un jeu, au cours duquel lorsque l’un gagne, l’autre perd. Oublier serait ainsi un acte de provocation, voire de défi à l’égard de la mémoire. Oublier viserait à mettre en péril la mémoire pour que celle-ci n’impose plus ses conditions, ses rappels, ses remords, ses regrets - comme pour mieux s’alléger de toutes les contraintes que la mémoire peut imposer à l’être humain. Oublier ne serait-il pas alors un geste de libération, en affaiblissant la mémoire, en créant sa faillite ? Lorsque l’on a mal à une dent, n’espère-t-on pas l’arracher ? La mémoire fabrique des tourments – elle nous rappelle notre passé douloureux et toutes les dettes que nous avons pu contracter ; pourquoi ne pas pratiquer l’ablation de la mémoire, la perdre littéralement pour ne plus être tourmenté ?

   Seulement le jeu en vaut-il la chandelle ? Ne serions-nous pas en train de jouer « à qui perd gagne » ? Si perdre peut en effet désigner un allégement, cette perte de la mémoire par l’oubli pourrait engendrer une perte plus fondamentale : à force de jouer avec l’oubli, à force de ne pas ternir compte de ses engagements passés, d’ignorer les voix de l’expérience, l’être humain ne risque-t-il pas de se perdre lui-même, d’errer, de vagabonder, à tel point qu’il ne parviendrait plus à se situer dans l’existence ? Dès lors l’oubli apparaît comme un défi dangereux qu’il conviendrait de neutraliser pour préserver la mémoire. Qu’en est-il ? Oublier annonce-t-il nécessairement la déchéance de la mémoire et de soi-même ?



10/03/2019
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